L’expérience de l’hôpital psychiatrique en 2014

Dans un hôpital psychiatrique, il n’y a pas forcement de barreaux aux fenêtres. De grandes baies vitrées donnent sur un monde qui continu à vivre. Ici le temps s’est arrêté. Un médecin décidera quand vous sortirez, car il y a quand même des serrures aux portes. Des infirmières parfois jolies, vous donnent des pilules trois fois par jour. On ne vous explique pas ni pourquoi les prendre ni ce qu’elles contiennent.

Tout est aseptisé et personne ne pense à se révolter. Les patients ne sont pas violents, les bains d’eaux glacées, les électrochocs, les puissants calmants, la contention, la lobotomie… sont dans les mémoires collectives.

Les discussions entres patients sont pauvres et se limitent à quelques propos délirants. Les journées sont longues et l’espoir de sortir varie en fonction de règles que vous ne comprenez pas.

Dans cette médecine-là, il n’y a pas de pédagogie. La peur crée le cadre, qu’il faut à nouveau respecter pour retrouver la liberté et vivre comme tout le monde.

Ce n’est pas de l’éducation mais plutôt du dressage, chaque patient le comprend très vite.

 

Un petit bilan

Le temps qui passe, les secondes et les années qui défilent. Le matin, alors qu’un bon verre de jus d’orange, devrait me donner l’envie de sortir et de vivre cette nouvelle journée, je reste tétanisé.

Il y a encore quelques années, je fonçais prendre le bus, pour aller voir du monde. Aujourd’hui, je suis fatigué, en pensant à toutes ces choses que je devrais faire.

Comme une punition, j’essaie d’avancer dans cette journée. Je fais le minimum. Le soir, je regarde derrière moi et je vois le vide de toutes ces années.

Donnez-moi une pilule miracle. Une de celle que je n’ai pas encore prise. Je n’ai plus la force en moi. J’ai physiquement 35 ans et intellectuellement la lassitude d’un homme qu’on s’acharne à faire vivre. Débranchez-moi !!!

Je suis venu, j’ai vu et j’ai perdu. La comédie que je joue, chaque fois que je vous serre la main est une mascarade. Les sourires… tout cela est factice, depuis de nombreuses années.

 

Je suis tout cela à la fois.

Sentiment de solitude, quand tu m’envahis, je me sens pleinement moi. J’arrive à sonder mon âme. Quand les autres sont là, je ne suis qu’un compromis.

Foule, quand tu m’envahis, je suis un autre.

Amour, quand tu m’envahis, je suis toi. Rejeté, je ne suis plus ni moi ni toi.

Folie, quand tu m’envahis, je ne suis plus rien. Juste un bégaiement d’idées.

Joie, quand tu m’envahis, nous sommes heureux.

Pleur, quand tu m’envahis, je suis mon cœur, mon corps.

Haine, quand tu m’envahis, je suis un animal. Serein, je suis un être humain.

Ou je vais ?

Je regarde la télévision toute la journée et je crois que je vais faire un burn out. Je suis fatigué du moindre effort et il faut que j’en face, des efforts. Il y a la vaisselle, le ménage et le chat à aller nourrir…. Il faut aussi que je m’occupe de moi, faire quelque chose de ce corps, lui trouver une occupation. Il ne peut pas rester comme ça sans rien faire.

Rencontrer des gens, cela me ferait sans doute du bien mais cela me fatigue aussi. Discuter, manger, rire, boire un café entres amis… C’est comme me demander de mettre un masque pour faire bonne impression. Si je m’écoutais, je dirai « merde » à tout le monde et avec des arguments en plus.

J’ai juste envie de et provoquer. Te dire que tu as le qi d’une poule et t’envoyer balader.

Mais où je vais comme cela ?

Je vais perdre le peu de contact social que j’ai et mourir seul. Mais c’est insupportable de faire semblant de rire à vos blagues, d’échanger un numéro de téléphone ou de faire une poignée de main, alors que j’ai envie de partir en courant ou te mettre dehors.

Fuir, mais pour aller où ?
Monter au sommet d’une montagne, loin de toute existence humaine, pour hurler mon dégout de la vie. Et puis tout doucement attendre la fin, en espérant qu’il n’y ait personne de l’autre côté du fleuve.

Je n’ai pas envie de me justifier, pas envie de paradis ni d’enfer. Je veux juste le vide absolu de l’espace.

 

Le champ du signe

Je suis lasse de cette vie. Tout n’est que répétition. J’ai envie de péter les plombs mais je n’ai pas de motif ou de raison pour le faire. Ou plutôt, c’est la camisole chimique que je prends tous les jours, en comprimé qui me retient.

J’ai envie de bousculer ma vie, les gens autour de moi…

Je reste englué dans les mêmes actions, tous les jours et surtout ne pas provoquer de changement ni même les gens. On me l’a assez répété.

Je ne suis pas un révolutionnaire, mais c’est ma vie que je souhaite guillotiner, pour en avoir une autre.

Je ne veux pas non plus être une star mais l’indifférence m’insupporte. C’est comme ces gens qui s’imaginent avoir tout compris de mon fonctionnement, de ma personnalité. J’ai envie de dynamiter tout cela.

Voilà, je suis dans une case avec une belle étiquette collée dessus. Il faut vraiment que je me bouge. Trop longtemps j’ai fermé ma bouche. Y a-t-il une raison qui fait que je ne devrais pas m’énerver ?

Si je veux que l’on me considère différemment, il va falloir que je me m’autorise à parler.

Oui, je suis tombé par terre mais aujourd’hui, il faut que je me relève. Je ne pourrai compter que sur moi-même, que sur mon envie d’avancer.

Ne pas écouter tous ces gens qui savent mieux que vous ce que vous êtes. En réalité, n’écoute que toi.

Un dimanche ordinaire

Une journée sans voir personne c’est long. Le dimanche je ne sors pas, je reste chez moi. Aller à l’église ? Je risquerais de jeter mes chaussures sur le prêtre. On n’est pas en odeur de sainteté dieu et moi, depuis que je passe mes après-midi, plié en deux de douleur dans mon canapé.

Mes amis sont avec leur famille. Les minutes sont longues et compter les heures me démoralisent. Il reste la télévision. Les chaines d’information en continu ou les chaines de musique finissent par me rendre proche de l’internement. Comme si à chaque clip ou reportage déjà diffusés, je recevais un coup de bâton sur la tête.

Je tourne en rond dans mon petit appartement. Je colle mon oreille au mur pour essayer de comprendre les discussions de mes voisins. Je vais me coucher puis je reviens sur le canapé.

Je prévois de me mettre au lit à 21 heures, au moins demain sera une autre journée. Mais dès 19 heures je ne tiens plus. Je prends alors un puissant calmant. Je vérifie 10 fois que le frigo, le gaz et le congélateur sont bien fermés. Et oui, j’ai quelques tocs.

Une fois dans mon lit, comme il est trop tôt pour dormir, je gamberge. J’imagine les pires choses qui pourraient m’arriver. Enfin au bout d’une bonne heure, grâce aux puissantes drogues que j’ai avalées, je me sens partir. C’est le meilleur moment, quand mon cerveau réfléchit tout seul, sans que cela ne paraisse me concerner, entre rêve et conscience.

 

Gravity

Je marche d’un point A vers un point B. Au milieu du trajet, une angoisse commence à monter dans la tête.
Je suis trop loin pour revenir au point A et le chemin pour aller au point B est encore long. Je prends de larges respirations pour calmer cette crise. Mes pieds se décollent doucement du sol, je flotte, comme un cosmonaute sorti de son vaisseau. Je ne suis plus soumis à aucune gravité.

Il faut absolument que je continue à avancer pour rejoindre le point B, je vais mourir sinon. Je fais des moulinés avec mes bras pour avancer mais cela ne sert à rien, il n’y a plus d’air là où je suis.

Mes pieds touchent le sol, la gravité est revenue. Je continue à marcher en me rapprochant du point B. L’angoisse diminue, j’arrive à me calmer.

Malheureusement pour moi, il n’y a que très peu de points A et B, tout le reste n’est qu’angoisse.

Heureusement dans c’est moment-là, j’ai mon téléphone et je le sers très fort pour qu’on vienne me chercher.

Comme une corde que je peux utiliser quand je suis dans l’espace, pour me ramener au vaisseau.

Le temps qui passe

J’ai vraiment l’impression de passer à côté de ma vie. Les après-midi, je reste sur mon canapé à vapoter devant un écran qui montre des gens en train de vivre, c’est pathétique.

J’ai 35 ans, célibataire et j’ai des angoisses quand je vais vers les autres et quand je sors de mon appartement… Je laisse filer le temps en espérant des jours meilleurs. L’espoir fait vivre et par moments, je continue à croire en je ne sais quel miracle.

D’autres moments, quand je souffre trop, je souhaite que mon existence se termine rapidement.

Aujourd’hui, le moral n’est pas trop mauvais. Je suis dans une spirale positive, mais ce soir quand la nuit sera tombée, j’aurai mes crises d’angoisses.

Je serai alors tétanisé par la peur, comme perdu dans l’espace, avec comme réconfort et comme repère, la voix à peine audible des voisins de l’autre côté du mur.

Demain, une journée pareille à aujourd’hui, sans contact humain, se déroulera. Avec toujours ce même rêve, qu’on se souvienne de moi.

Entre folie et rêve, je m’imagine un destin extraordinaire.

Mais tout cela n’est que de l’imaginaire, de la poudre aux yeux. La réalité est bien pauvre. Si j’arrive à prendre le bus, ce sera un exploit.

Peur en avion

Il arrive que l’enthousiasme nous emporte dans des pensées positives débordantes. On imagine que quoi qu’il arrive, on a un destin qui nous sauvera, que les choses que l’on fait ont un sens et qu’il se révèlera au moment venu. On pense qu’un grand ordinateur calcul tout et que nous sommes un rouage de ce grand engrenage bien huilé. Nous sommes heureux, sûr de nous. Nous ne nous posons pas de questions et nous avançons.

Nous vivons un moment de plénitude. Et un peu comme un avion atteint son seuil de décrochage nous commençons à avoir des doutes. L’avion pique de plus en plus du nez et une angoisse nous envahit. L’angoisse se transforme en terreur et nous doutons de tout. L’image de la mort apparait. Nous prenons conscience de la légèreté de notre vie, de notre absurdité. Nous avons peur de mourir là, dans quelques secondes, sans avoir rien réalisé de notre vie. Nous sommes glacés et ne bougeons plus, de peur de prendre le moindre risque.

Que faire dans ces moments-là ?

Je n’ai pas vraiment trouvé de solution à part peut-être les anxiolytiques. Ces petites pilules qui me calment, m’apaisent et réchauffent ma tête malade.

Comme un soleil de midi, je me sens mieux. Je suis calme. Rien n’est résolu mais face à des questions éternelles, je n’aurai jamais la réponse.

Aller faire les courses pour le réveillon un 24 décembre

A la base je n’avais déjà pas trop envie. Je rentre dans le hall de la grande surface. Il y a des milliers de petits points brillants qui font un peu tourner la tête. Ne pas croiser le regard des gens, toujours, c’est un principe.

Dans le magasin les gens me bousculent, je tiens bon, je regarde par terre. Plus je m’éloigne de la sortie, plus la pression monte. Si j’ai une crise il me faudra plus de temps pour retrouver le plein air.

Je choisis les premiers articles, je me demande ce que je fais là. Je dois aller à l’autre bout du magasin pour acheter les gâteaux apéritifs. La pression monte dans ma tête, ça commence à tourner. Je ne trouve pas ces foutus tucs au bacon, ça commence à devenir intenable. Je suis comme une toupille entre les chips et les bretzels. Une crise d’angoisse monte, ouf, je viens de trouver les biscuits.

Je me dirige vers les caisses pour payer. La file d’attente est longue, vite vite, j’ai envie de sortir. Bientôt je ne serai plus capable de saisir mon code secret. L’angoisse est à son paroxysme. Ouf enfin, j’ai réglé la note.

Je marche d’un pas rapide pour retrouver mon logement, à 5 minutes à pieds.